À quoi bon ?
Pourquoi espérer le bonheur ? S'il est une finalité inaccessible de la vie, pourquoi s'évertuer à le chercher ? Pourquoi espérer ? L'espoir est, au même titre que la religion, l'opium du peuple. Marx qualifiait ce type de croyance ainsi, pensant qu'elle n'était qu'une illusion populaire, un moyen d'échapper à la réalité. J'estime l'espoir au même niveau. Il faut toujours être pessimiste et envisager le pire, on limite ainsi la déception face aux faits. Espérer, être optimiste, cela ne mène qu'à la déception, nous ne sommes jamais satisfaits de ce qui arrive. Le seul moyen d'échapper à cette mauvaise impression est d'être fataliste.
Prenons un exemple, vous achetez un ticket de loterie, où à un quelconque jeu de hasard de même nature, uniquement crée pour siphonner les biens monétaires de celui qui contribue à son financement de la sorte. Vous n'avez qu'une chance sur deux d'avoir acheté le bon ticket, vous pensez donc que l'espoir de gagner est suffisant. Pourtant, ce fait de perdre dans un cas sur deux persiste, et la déception se lit sur votre visage si ce cas se produit. Vous avez perdu de l'argent après avoir voulu espérer en gagner plus que dépensé.
Des exemples comme celui-ci, il y en a des milliards. Le malheur frappe toujours les mêmes personnes, s'acharne sur de pauvres gens, tandis que d'autres nagent dans la réussite sur tous les points, sans jamais connaître de revers. S'il existe réellement un être supérieur, un Yahvé, un Dieu, un Allah ; celui-ci doit être la pire ordure ayant jamais existé pour permettre tant d'injustice, de pauvreté, d'acharnement, de misère. Nous n'aurions été façonnés que pour subir le sadisme d'un omniscient mégalomane, un être immature s'amusant à construire de petits êtres en plastique pour leur faire subir ses caprices personnels. Et certains d'entre nous vouent un culte à ce destructeur.
Je m'appelle Igor, et je ne crois plus en rien.
Penchant un œil vers la fenêtre, je contemple la grisaille du ciel, la pluie qui ne cesse de s'abattre sur cette Terre bien morose. Ce triste village français, Villanbourg, reflète tout ce qu'on peut obtenir de ce monde. Ennui, désespoir, pauvreté, injustice et intolérance.
J'y suis né seize ans plus tôt et y habite encore. Je suis passionné des univers Marvel et DC Comics grâce à de vieux comics retrouvés dans le grenier d'un parent pendant mon enfance. J'y trouve un petit cocon de plaisirs et de joies que je me dois de quitter sans cesse, la réalité m'appelant, pour que je m'y morfonde. Les super-héros de ma légère collection personnelle me transportent dans un univers parallèle, où je peux sourire et vivre. Les gentils gagnent contre les méchants, la perfection se personnifie en un surhomme, tout y est... irréel.
Le monde dépeint dans ces illustrés est hélas loin d'être proche du réel. Que fait Superman quand un misérable gars de 1ère ES se plonge dans la solitude, faute de gens capables de l'accepter ? Que fait Iron Man quand un misérable gars de 1ère ES ne peut approcher personne, sous peine de susciter le dégoût ? Que fait Wonder Woman quand un misérable gars de 1ère ES se plaint de son sort, alors que d'autres dans le monde peinent à vivre, faute de manque de nourriture, de logis, de paix ? Pourquoi croire en un dieu et lui vouer un culte, s'il permet tant d'erreurs sur un si petit caillou ? Pourquoi croire aux promesses politiques, sans cesse contestées, et menées dans l'unique but de permettre un redressement économique au détriment de la santé humaine ?
Dans ma chambre à coucher est caché un nœud de corde coulant, prêt à contribuer à l'irréparable. Il suffit simplement d'attendre le pire moment, où plus rien ne pourra être sauvé, où les comics ne me maintiendront plus en vie, où la véritable pauvreté me frappera à mon tour, faute d'emploi disponible, de logement accessible, de nourriture trop onéreuse. Je ne suis pas issu d'un milieu privilégié, ma route n'est pas toute tracée par le compte bancaire de mon père, balayeur, ou par celui de ma mère, rayée des listes de chômeurs comme des millions d'autres personnes, malgré de multiples tentatives désespérées de décrocher un emploi. Je vis dans la précarité, mes parents peuvent tout perdre après un claquement de doigts, je sais que la fin est proche...
Voilà seize ans que les jours se suivent et se ressemblent. Réveillé à six heures du matin par mon père, je prends mon petit déjeuner dans la pièce voisine, composé d'un de ces croissants sans goût de marque discount et de lait de la même maison, non sans l'avoir passé au filtre pour en retirer les solides le composant au quart. Après une demi-heure de trajet en voiture, mon père me dépose devant les portes de mon lycée à sept heures du matin. Les transports en commun étant hors de prix et mon paternel travaillant dans vingt minutes à un quart d'heure d'ici, j'arrive certes devant les portes d'un établissement fermé, mais les économies sont drastiques. Trois quarts d'heure s'écoulent dans l'ennui. Assis sur un muret voisin, je n'ai d'autre choix que d'attendre. Pas question de prendre avec moi un comic, il serait abîmé dans mon sac, voire volé. N'ayant que peu d'argent, je ne peux me permettre de payer une occupation.
Huit heures moins le quart, les portes s'ouvrent et je rejoins la salle de classe sans attendre, souhaitant éviter la pluie et les habituelles moqueries de certains gars de la cour du lycée. Depuis ma scolarisation, personne n'a voulu m'approcher en signe d'amitié. Les mentalités n'ont pas changé depuis la maternelle, et je suis toujours le pauvre, moche, qui pue, que personne ne veut comme ami. Quand je m'approche d'un groupe, celui-ci s'éloigne de moi. Chaque jour, je cherche à me remémorer un possible événement de mon enfance qui aurait poussé les autres à m'éviter à ce point pendant tant de temps, sans succès.
Je n'ai donc pas d'amis, et donc personne pour me défendre des imbéciles, poussant le rejet encore plus loin et se distrayant en me menant la vie dure par un bizutage permanent. Un jour noyé dans les cabinets, un jour maquillé au surligneur ou au marqueur, un jour rentré chez moi sans sac, ou avec des affaires scolaires détruites, un jour enfermé dans un sac poubelle, ... Les différentes administrations n'ont rien fait, corrompues par les familles riches défendant leurs enfants, sages et obéissants chez eux et ne pouvant être si brutaux, même hors du nid familial.
Voilà pourquoi je rejoins ma salle de classe si tôt. Les cours se suivent et se ressemblent. Ne pouvant me distraire avec d'autres personnes, n'ayant pas de vie sociale, j'en tire un certain avantage côté travail, pouvant être mené sans crainte de perdre mon temps libre. Peu de mauvaises notes, un avis neutre systématique du conseil de classe, des professeurs, me récompensant d'un ''Bon travail.'' en guise de remarque sur le relevé de notes. Toutefois, personne ne se joint à moi lors des travaux de groupe, que j'effectue systématiquement seul. Le pire survient lors des passages à l'oral, où personne ne m'écoute, où le chahut est omniprésent, où l'enseignant se contente d'un « S'il vous plaît... » las pour ramener l'ordre dans la classe pendant deux secondes.
Les récréations se passent également non loin des salles de classes. Si la porte est fermée, je préfère attendre devant plutôt que de prendre le risque de sortir et d'être attaqué. Je prends mon déjeuner en ville, le repas de la cantine étant encore hors des moyens de mes parents. Avec deux euros en poche chaque jour, je tente de dénicher une bonne affaire. Le centre commercial n'est pas loin, les sandwiches de marque distributeur non plus.
À la sortie du lycée à six heures, mon père me récupère après avoir attendu quarante minutes à son tour, passées à lire le journal pour s'abreuver de mauvaises nouvelles que la propagande aura bien voulu lui donner. Les devoirs sont faits après un repas peu frugal, un chapitre d'un livre est lu, puis le sommeil est gagné.
Ainsi va ma vie depuis de longues années. De la maternelle au lycée, rien n'a changé, si ce n'est que mon repas m'était fourni par ma mère dans mon plus jeune âge. Parfois, malgré mes tentatives d'éviter le bizutage, je suis malgré tout piégé. Il se passe rarement une semaine sans qu'un seau d'eau sucrée ne me tombe dessus, ou que je ne sois attaqué aux boulettes de colle en classe, et je n'évoque pas le pire. Pas de soutien, pas d'amitié ou d'amour partagé.
À quoi bon ?
1 commentaire:
Le maître est de retour!
Bon début. ;)
J’attends la suite alors bonne continuation!
Enregistrer un commentaire