samedi 10 septembre 2011

Chapitre 6

Souriant toute la journée, d'humeur joyeuse, impatient à l'idée d'expérimenter mon armure le soir ; cela n'a pas manqué d'attirer l'attention de ceux m'ayant croisé aujourd'hui, sous une pluie forte, ne manquant pas d'affecter le moral. Presque chantant dans les rues, je subis les regards mornes et crispés des passants, morfondus sous leurs parapluies. Mes camarades de classe, en particulier les moqueurs, me regardent de travers en me voyant sourire. On peut presque lire leurs pensées dans leurs yeux, ''Le connard est heureux aujourd'hui ?'', ''Il a dû trouver un centime par terre pour sourire comme ça.'', ''J'ai faim.'', …

Participant en classe, je n'hésite pas à demander de lire le rapport sur le PIB du Venezuela en 1969. Je reçois également une sale note en Anglais, mais en souriant, ce qui fait réagir mon professeur, me lançant des remontrances dans la langue qu'il enseigne, que j'écoute à peine.

Midi, j'achète un sandwich en osant prendre une seconde tranche de jambon cru à l'intérieur. J'ai en effet trouvé un euro par terre le matin. Le régal est de mise. Plus tard, Ophelia, une ''bizutrice'' enfermée dans le monde naïf de l'adolescence stéréotypée, m'aborde. Comme presque tous les autres, elle m'appelle ''connard'', ça me lasse, mais je laisse passer, je ne peux de toutes façons, pas me défendre.

« Méé, konar, komen sa s'fé k'tu smaïle, la ? Lol !

Oui, à force d'écrire SMS, elle parle également SMS.

    • Chais pas, ça peut arriver de temps en temps.

    • Nan, mé MDR, la ! Ta une risone kan mem ! Té un clodo ki pu. Kkun ta mi dé sou dan ton ver de clodo ?

Je ne sais pas quoi répondre.

    • Mé répon ! Tiinn, té vréman un konar kan mem ! »

Sur ces mots, elle rejoint le bar, à dix minutes de la reprise des cours. Je ne la reverrai pas aujourd'hui.


« Lourdingue, cette Ophélia, n'est-ce pas ?

    • Sarantu, comment faites-vous pour voir ce que je fais la journée ?

    • Non, je passais juste à ce moment-là. En armure, les Mikava sont invisibles aux yeux des humains non-initiés. Je te l'avais déjà dit.

    • Et pourquoi ne vous ai-je pas vu ?

    • Je suis seulement resté dix secondes planqué derrière un muret voisin pour voir ce que faisait mon nouvel apprenti.

    • Vous n'avez pas de vie sur Terre ?

    • Si, mais je profite des pauses ''besoins'' au bureau pour m'évader cinq minutes. Après tout, personne ne va m'accompagner, c'est plutôt discret.

    • Vous pouvez m'espionner depuis les toilettes ?

    • Je génère une porte pour Anuva, puis une autre pour l'endroit où tu es. Puis je refais le chemin inverse pour revenir. Je peux te trouver où que tu sois, ça fait partie des avantages du chevalier sur son apprenti, mais ne t'en fais pas, je le fais peu. Et si tu me juges trop envahissant, tu peux en avertir le conseil des maîtres via ton ordinateur.

    • Ça me rassure.

    • N'empêche qu'avec un peu plus de répartie, tu aurais pu rabattre le caquet de cette fille.

    • Et qu'auriez-vous dit à ma place ?

    • Elle te demandait pourquoi tu souriais, tu aurais pu dire ''Parce que je te trouve ravissante aujourd'hui'', ça lui aurait fait plaisir.

    • Mais elle est moche comme un pou !

    • Bon, je t'accorde un point.

    • Et ça n'a rien à voir avec ma pensée.

    • Parfois, il faut savoir mentir. Surtout quand on mène une double-vie.

    • Vous n'auriez pas eu une meilleure réplique ?

    • ''Pourquoi tirerais-je la gueule ?'' mélange la grammaire poussée et le langage courant, ça désacralise et ça a son petit succès en société.

    • Elle m'aurait demandé pourquoi je souriais pas avant.

    • N'hésite pas à confier tes petits soucis, à être franc.

    • Me confier à elle ?

    • Tu n'es pas obligé d'entrer dans les détails. Tu peux dire ''Je n'aime pas la pluie.'', ''Je suis fatigué.'', ''Mon poisson rouge est mort.'' … je ne sais pas, des choses comme ça.

    • Vous avez seulement vu sa conversation ? Elle accorde plus d'estime à la coque protectrice de son smartphone qu'à moi ! Lui raconter ma vie ne fera qu'accentuer ses insultes.

    • Dans ce cas, sors une répartie pleine de sens. Elle dit ''T 1 klodo ki pu.'', tu réponds ''À sentir ton parfum, on pourrait croire que t'as piqué une tête dans la benne à ordures.''

    • C'est pas très élégant...

    • Parce que ''Ta 1 ver de klodo'', c'est élégant ?

    • Bon, égalité.

    • Et avec ça, t'as déjà les bases d'un de mes cours, que j'ai pu donner à l'extérieur, comme je préfère le faire, avec une petite marche revigorante. »

J'avais en effet retrouvé Sarantu au pied de la porte de ma chambre en arrivant, et nous avions encore eu une petite conversation sur le chemin d'une salle d'entraînement, dont cet extrait. Mon mentor a la conversation agréable, cela me fait oublier la longue marche jusqu'à la-dite salle que je sens malgré tout dans mes mollets.

« La longue marche jusqu'à la salle d'entraînement à dû t'épuiser les mollets. Ne t'en fais pas, je t'offrirai un moyen de locomotion plus tard.

    • Et pour ce coup-ci, mes mollets fondus, ça comptait pour du beurre ?

    • C'était du premier degré ?

    • Hein ? Euh... non.

    • Non parce que bon... Garatu serait plié en quatre avec une phrase pareille.

    • Pourquoi ?

    • Non, parce qu'il se trouve que d'après les estimations des taux de graisses présents dans le corps humain, si l'on compte le beurre comme une graisse, elle aura fondu dans tes mollets.

    • J'ai rien compris.

    • Pas grave, tes calories me remercieront. »

Sur ces mots, le chevalier me fait entrer dans la salle d'entraînement. Salle cubique de trois mètres d'arête, elle s'avère composée de panneaux carrés disposés tels un carrelage sur chaque face. Une porte se situe au fond de la salle, et une petite fenêtre rectangulaire se situe à deux mètres au-dessus de cette porte. Sarantu passe cette porte, et donne des explications avant de la refermer derrière lui.

« Il y a une salle là-haut, j'y évaluerai ton actuelle maîtrise des armes en t'envoyant des hologrammes d'ennemis. Je te conseille juste d'enfiler ton armure.

    • Je me suis jamais vraiment battu de ma vie.

    • Ce sera l'occasion de commencer. Si tu es repéré par un Migono, il cherchera à te tuer, tu devras te défendre.

    • On ne peut pas envisager de coexistence pacifique ?

    • Ça dépend. Si tu veux parler pacte de non-agression mutuelle avec un gusse qui te chargera avec une lame surpuissante sans avoir pris le temps de se présenter...

    • J'aime votre spontanéité.

    • Bien, sur ce, bonne chance. »


La porte se referme. Je vois mon mentor apparaître derrière une série de pupitres par la fenêtre. Enfilant mon armure, je dégaine, me tenant prêt à être attaqué. Je reçois un coup dans le dos, assez puissant pour me faire tomber. La voix de Sarantu retentit dans la salle.

« Oui, les Migono adorent attaquer par derrière, ou quand tu ne t'y attends pas ... »

Je prends appui sur mon bras droit pour me relever, et je reçois un autre coup invisible sur le même bras, me refaisant chuter.

« … et pendant que tu faiblis. Ça n'aurait pas été un hologramme, tu aurais déjà la colonne vertébrale brisée et un bras en moins.

    • C'est gentil de me rassurer.

    • Je suis gentil, je te laisse reprendre tes esprits avant le prochain combat. »

Je profite alors du break pour me ressaisir. Par chance, il n'y a douleur que sur le coup, se dissipant bien vite. Devant moi apparaît alors un Mikava orange, un Migono sans doute. Celui-ci sort une lame de type ''biggoron'', deux fois plus forte que la mienne, mais requérant une force et un entraînement développés. Nous croisons le fer. La force exercée est plutôt forte, je peux difficilement résister. Il retire subitement sa pression et tente de me frapper le flanc, mais j'esquive le coup avec ma lame. Puis un autre coup vers mon crâne, que je protège avec mon bouclier. Mon assaillant bondit au-dessus de moi et atterrit de l'autre côté, puis donne un coup furtif de lame dans ma cuisse. Je tombe au sol, le Migono lève sa lame et me frappe au crâne de manière à me couper en deux. Son hologramme disparaît alors.

« Ardamu, je t'annonce que tu es complètement rouillé et qu'il faudra bien deux mois d'entraînement acharné avant que tu ne puisses être au point niveau armes.

    • Et sinon, une bonne nouvelle ?

    • Nous ne sommes pas en temps de guerre, on ne lâche pas les apprentis sans entraînement en première ligne.

    • Vous faites vraiment ça ?

    • Non, c'est une blague.

    • Très drôle.

    • Enfin... on n'a jamais eu de guerre encore, donc je sais pas trop comment ça se passe.

    • On peut résilier le contrat ?

    • On ne te demande pas de savoir massacrer ton adversaire, juste de te défendre face à lui assez longtemps pour échapper à un destin fatal. Pis c'est ma faute aussi si on a un maniaque en face qui tient à démolir tout espoir et forme le propageant en ce monde ?

    • Vous avez pas un mode ''lent'' pour vos hologrammes ?

    • C'est déjà sur ''lent''.

    • Chouette. »


Les combats se poursuivent. J'affronte tour à tour divers Migono, chacun armé différemment, du bouclier en plastique au bloc de béton armé, de l'épée en caoutchouc à la tronçonneuse. Je perds systématiquement, mais parviens à porter des coups vainqueurs, faisant disparaître les hologrammes. Je me découvre une souplesse que je n'aurais jamais soupçonnée en temps normal. L'entraînement se termine avec le premier Migono que j'ai eu l'occasion d'affronter lors de la session. N'ayant pas faibli, bien au contraire, le combat se prolonge sur plusieurs minutes. Je pare ses coups avec l'aide de mes derniers efforts. Malgré tout, il parvient à me trancher en deux au niveau de la taille.

« Je l'admets, j'ai poussé ce dernier au niveau ''normal'', mais je peux t'annoncer que cette session d'une bonne demi-heure a été plutôt revigorante !

    • Ça fait une demi-heure que je gesticule ?

    • Oui, et je t'annonce que c'est tout pour aujourd'hui. Parti de rien, tes progrès sont plutôt conséquents, et tu peux vaincre tout ennemi réglé sur ''lent''. Malgré ça, il te faudra quand même plusieurs séances avant de parvenir à un niveau convenable. Les Migono sont des brutes épaisses. Beaucoup ont le niveau du dernier que tu as affronté, toutefois, tu en rencontreras de bien plus coriaces.

    • Une question : ils sont sensés me pervertir tant que je suis apprenti, pas me tuer...

    • Si la perversion ne fonctionne pas, ils te tueront.

    • Et il n'y a pas d'entraînement contre ces perversions ?

    • Un module a été crée récemment, il est encore en phase de test. L'un d'entre nous ayant vécu l'expérience de la perversion nous a aidé. Il est resté trois jours chez les Mikava, le temps de témoigner, avant de disparaître.

    • Euh... est-ce que quelqu'un ayant vécu cette expérience est parvenu à rester chez vous plus de trois jours ?

    • À ma connaissance, non. Mais la contribution de ce Mikava disparu nous a permis d'identifier les méthodes de nos adversaires. Nous cherchons actuellement un remède. Mais ce projet est maintenu secret, et seuls les maîtres et grades supérieurs en connaissent vraiment les détails. »


Je rentre chez moi, une boule au ventre, la crainte de la perversion dans l'esprit. Il faut dire que je n'ai jamais eu beaucoup de chance dans ma vie, et je fais de cette éventualité pessimiste une réalité. Si les Migono doivent me trouver et que personne n'a jamais pu leur résister, serai-je condamné à la dépression éternelle ? Est-ce que les enseignements Mikava m'aideront à résister ?

J'entends du bruit à côté.

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