samedi 1 octobre 2011

Chapitre 9

Vingt minutes et trois aspirines plus tard, la mise en situation parvient jusqu'à la table de restaurant, où le gars a réussi à inviter la demoiselle à dîner, avec comme plat principal ce fameux poulet rôti bien lourd à digérer à huit heures du soir qui fait la réputation de l'établissement.

« Je maintiens qu'il serait meilleur avec de la mayonnaise.

    • Ardamu, s'il-te-plaît. On a déjà eu assez de mal à faire venir cette charmante jeune femme à votre table. Dans la réalité, ça ne se serait pas passé comme ça.

    • Ça convient peut-être à Faclastu, la fumée de la clope, mais j'aurais personnellement pas accepté.

    • Ah non, moi, j'aime pas non plus.

Sarantu reprend sa respiration.

    • Bon, elle vous demande quels sont vos films préférés. Ardamu, quel genre de film lui cites-tu ?

    • Je sais pas, je vais jamais au ciné.

    • Tu en as bien vu à la télé ?

    • Les jours où elle marche, on ne peut capter que les téléfilms familiaux de la première chaîne, je peux pas me faire d'opinion.

    • Mmh... Laissons tomber. Faclastu, que dirais-tu ?

    • ''Qu'importe le film. Un bon jeu d'acteur fait la différence quelque soit le genre dans lequel il joue. J'admets préférer les comédies ''intelligentes'' malgré tout. Et toi, que préfères-tu ?''

    • Très bien. Elle répond qu'elle n'a que peu de temps à consacrer à son côté cinéphile. Elle n'aime pas les pseudo-comédies trash adolescentes, et admet avoir un côté nostalgique et préférer les œuvres où joue Louis de Funès. Ardamu, que répondrais-tu ?

    • C'est qui, Louis de Funès ?

    • Simplement un acteur relativement connu, capable de faire des mimiques inoubliables, faisant partie de la culture populaire. Dommage qu'il soit mort. Comment peux-tu ne pas le connaître ?

    • Je vous l'ai dit, Sarantu, ma télé marche pas. Je connais juste un peu ''Joséphine, Ange Gardien'', vous voyez ce que c'est ?

    • J'ai vu deux minutes, ça m'a suffi. Mais ta télé ne marche pas correctement depuis combien de temps ?

    • Depuis 1987, d'après mon père.

    • Passons. Faclastu ?

    • Ah, Louis de Funès ! Sans lui, il n'y aurait pas eu de patrimoine humoristico-cinématographique !

    • Pfou, pour dîner avec toi, faut amener un dictionnaire. Tu comptes brancher ta nana avec Le Petit Robert ?

    • Ardamu, c'est moi qui mets en situation, ici.

    • C'est pas une mise en situation, c'est une confrontation face aux faits. Et si on tombait devant une Ophélia ?

    • Tu m'as dit qu'elle est moche comme un pou.

    • Oué, mais je parle du niveau intellectuel.

    • Il faut savoir faire abstraction des défauts et préjugés pour mettre au devant les qualités qui feront l'amour éternel.

    • Bien, Faclastu. Je vois que tu retiens mes enseignements.

    • Mouep, je suis pas encore convaincu... »

La fin du cours se termine par une gifle de la demoiselle pour moi, et un baiser de sa part pour Faclastu. Revigoré par cet événement, il nous quitte et passe le relais à Garatu, arrivant tout excité.

« J'ai fait rire quelqu'un ! J'ai fait rire quelqu'un ! hurle-t-il

    • Bonsoir, Garatu. répond Sarantu

    • Oui, bonsoir. Pardon, chevalier. Mais il faut me comprendre ! J'ai fait rire quelqu'un !

    • On a compris. Et si tu t'asseyais plutôt pour nous conter ce qui s'est passé ?

Le plaisantin s'exécute.

    • Alors, j'étais à un arrêt de bus. Ce dernier est en retard, comme d'habitude. Un gars est au même arrêt, et là je dis ''Vous connaissez la blague du bus à l'heure ?'' HA HA HA !

    • HA HA HA ! reflète mon mentor

    • Euh... Ah Ah ? dis-je hésitant

    • Ou Brigitte Bardot ! HA HA HA !

    • Zut, je me disais aussi qu'on avait pas encore eu une vanne navrante depuis vingt-sept secondes.

Sur ces mots, Sarantu sort un sédatif et l'applique à Garatu. C'est à moi de reprendre la conversation alors que le blagueur reprend ses esprits.

    • Vous savez, vous allez un peu vite pour moi. Vous pourriez m'expliquer toutes les tentatives de traits d'humour auxquelles nous avons été soumis depuis l'arrivée de notre ami blagueur ?

    • Et bien, déjà, Garatu s'est vautré au sol. Humour visuel classique.

    • Ah ? J'avais pas remarqué.

    • Tu n'as rien perdu. Après, il y a le ''Vous connaissez la blague du bus à l'heure ?'', ce qui est drôle, car paradoxal. Un bus ne peut être à l'heure, sinon, c'est une plaisanterie, une blague.

    • Je prends pas les transports en commun.

    • Puis Garatu à cité ce nom d'actrice dont les initiales sont BB pour faire écho à ton Ah Ah, blague alphabétique trop mal placée, suffisant à plomber la soirée.

    • Merci, c'est plus clair. Excusez-moi, je fatigue un peu, faut pas m'en vouloir si je suis pas tout.

    • Ne t'en fais pas, des choses m'échappent aussi, parfois.

    • Au fait, je dois aller aux toilettes, je reviens.

    • Attends, Ardamu. Installe ce cylindre quand tu auras fini. »

Sarantu me tend le-dit cylindre. Je retourne à ma chambre par la pensée. Après mon affaire, je suis ses consignes. Sur ma visière s'inscrit ''Motocycle installé'', puis ''Veuillez choisir un modèle de motocycle via votre ordinateur''. N'ayant vu des ordinateurs que sur les pubs affichées en trois mètres sur quatre dans les rues de Villanbourg, des Mac d'Apple dont on vantait l'incroyable supériorité, je ne savais guère comment utiliser celui de ma chambre. Je pousse un bouton mis en évidence, des images s'affichent à l'écran. Parmi elles, l'une me propose justement de choisir un motocycle. On me suggère une vingtaine de variétés, certaines étant plus poussées en vitesse, d'autres en résistance, accélération, maniabilité... Leurs formes vont également du conventionnel au surprenant. Ainsi, un châssis en forme de fusée pyramidale me tape dans l’œil, je le choisis. On me dit que je peux en changer si je le souhaite via cette interface. Je sors de ma chambre, puis du bâtiment.

Pas de chance, Sarantu m'a laissé dans la surprise, et je ne sais pas comment conduire cet engin, encore moins comment le générer. Par hasard, je pense ''Générer motocycle'', ça marche. Le modèle choisi se matérialise devant moi, je n'ai plus qu'à le chevaucher. Bel engin, en forme de tétraèdre presque régulier, avec un réacteur dans chaque coin sur la face arrière, un emplacement creusé pour le pilote au niveau d'une arête, deux roues greffées à la face inférieure, et le nez part en pointe aiguisée, idéale pour empaler. Une fois assis, deux pédales se matérialisent, une sous chacun de mes pieds. Je pousse sur celle de gauche, je recule. Je pousse sur celle de droite, je fonce.

N'ayant jamais piloté de tel engin auparavant, la perspective de me retrouver à environ 200 kilomètres par heure en moins de deux secondes ne m'enchante guère. Pratique pour les cascades sur les dunes, pour apprendre à voler. Mais un des écrans près du guidon m'indique à juste titre qu'on aurait déjà retiré mon permis de conduire sur Terre pour excès de vitesse. Par instinct, je penche le-dit guidon vers la gauche ou la droite pour tourner dans ces directions, en avant et en arrière pour me pencher dans ces autres directions. Une carte s'affiche sur un autre des écrans, m'indiquant le chemin de la salle de cours de Sarantu, d'où vient un signal. Je retrouve ce dernier quelques minutes après, non sans avoir fait quelques chutes, malgré le port de la ceinture de sécurité.

« Ravi de voir que mon émetteur fonctionne toujours bien. Tu sauras où me trouver si je l'active. Alors, cet engin te plaît ?

    • Mais pourquoi avoir crée un bolide pareil ?

    • C'est toi qui insistais pour ne plus marcher jusqu'à mes salles de cours et d'entraînement. Beaucoup d'autres Mikava sont fainéants au même titre, d'où ce type d'engin. Puis ça peut être utile pour semer un Migono à tes trousses.

    • Vous auriez pas... des stages de conduite ou des trucs comme ça ?

    • Tu peux t'amuser avec cet engin sur certains circuits implantés à la surface d'Anuva. Parfois, pour le fun, on organise aussi des tournois. Grands Prix, duels à la lame, voire les deux d'un coup, des joutes en quelque sorte. Rassure-toi, personne n'y est blessé, les lames ont autant d'effet que celles des Migono en entraînement, et les véhicules ont des radars de collision frontale probable intégrés, reliés à des systèmes de freinage automatique. On en organise à peu près tous les Dimanche.

    • Et y'aurait pas des voitures dans le même genre ?

    • Je t'ai proposé le motocycle, il y a en effet des voitures, et d'autres types de véhicules pour les plus haut gradés, comme des chasseurs aériens, des sous-marins, des pelotes de laine rebondissantes... À toi de voir chez les différents codeurs d'Anuva, il s'en donnent à cœur joie pour créer améliorations et autres trucs fantaisistes, et pour les vendre à prix onéreux également, parce qu'il y a quand même des trucs qui servent à rien dans le tas. On dira que les objets usuels sont gracieusement donnés par les chevaliers à leurs apprentis, mais un truc comme le parapluie aérodynamique est juste là pour la décoration.

    • On paie comment, ici ?

    • En Crédits Anuviens, qu'on obtient en guise de récompense avec une bonne place dans les divers tournois. Avec une meilleure expérience et un plus haut grade, les prix descendent. »

Revenu dans la salle de classe, Sarantu enchaîne avec une autre mise en situation, une soirée alcoolisée entre amis dans laquelle on maîtrise l'art de rester crédible saoul. Encore faut-il avoir des amis, je n'écoute donc que d'une oreille. Personnellement, je me rends ivre seul, à peu près toutes les semaines, généralement le lendemain de ma méditation face au nœud coulant. Je vole un peu de vin de marque distributeur à mon père. Il est dégueulasse, mais je reste désagréable sans en importuner un autre, et il me permet d'oublier les événements détestables de manière plus radicale...

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE

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