samedi 3 décembre 2011

Chapitre 17


« Preumz !
    • Deuz !
Un temps.
    • Troiz ! 'tain, les mecs, comment vous faites pour être si rapides ? Faut faire des Grands Prix de moto sur Terre ! Chuis sur que vous pourrez gagner. J'vais même faire des flyers pour vous faire profs de pilotage, sérieux !
    • T'en fais pas, tu débutes seulement aux courses de motocycle, ça ira mieux après.
    • Nasartu, tu m'as pas vu quand je me suis pris la zone raclée ? Elle était ptite et facile à éviter, bah je me la suis quand même mangée !
    • Moui, j'admets que j'ai un peu merdé en la plaçant celle-là, et je pensais pas que quelqu'un se la prendrait.
    • Ah bah, tu vois ? Ardamu m'donne raison, chuis nul ! »
Rien à faire pour réconforter Darnu après sa troisième place sur la petite course amicale qu'on s'est organisé sur le circuit en 8 entre apprentis de Sarantu. Faut dire qu'il n'a pas eu beaucoup de chance, en fait...
Nous descendons de nos motocycles et sortons du circuit, nous disons qu'il faudra remettre ça sur les autres circuits, puis regagnons nos domiciles respectifs.

Non, pas ça.

Ma mère est couchée sur le lit, je ne l'avais jamais vu si pâle.

Raide...

Mon père est assis à côté d'elle, la tête dans les mains.

Immobile...

Morte.

C'est le malaise de trop, les séquelles sont devenues trop importantes pour être subies et rester en vie, la souffrance est devenue insupportable.
Le lycée et Sarantu sont prévenus. Sous le choc, je ne pourrai assister à aucun cours. Il nous faut deux jours avant qu'on ne se décide à l'inhumer. Marc nous offre un cercueil. Il sait qu'on ne pourra pas le rembourser, mais il ne peut laisser un humain enterré sans autre protection que la terre.
La cérémonie est intime, mon père et moi sommes les seuls à creuser dans notre maison, à côté de l'endroit où nous avions enterré Victor. Nous n'avons pas de cour pour l'inhumer dans un endroit plus tranquille. On nous refuse le cimetière, nous ne pouvons payer la parcelle.
Les jours suivants sont douloureux, tout est à l'arrêt. Mon père n'a pas la force d'aller travailler, mais il doit le faire. On lui refuse les congés payés. Je passe des journées entières couché sur mon lit, à me morfondre dans le malheur. Marc passe de temps en temps pour tenter de me réconforter, mais le deuil est difficile à faire. Deux semaines passent, avant que je ne me décide à revenir au lycée et sur Anuva.
Chez les Mikava, le conseil s'est montré tolérant et ne m'a pas sanctionné pour ces absences. C'est bien la seule institution compréhensive... Je suis à présent presque au même niveau que mes deux collègues de cours et tout reprend normalement.
En revanche, au lycée, aucun cadeau ne m'est fait. Je n'ai rattrapé les cours que tard, sans réelle envie de les apprendre, mais les profs sont sévères, stricts, et choisissent la semaine de mon retour pour contrôler nos connaissances à l'écrit sur de gros exercices notés à fort coefficient. Inutile de dire que la semaine est faste et plante mon trimestre entier.

Un midi, je retrouve Blanche.
« Désolée pour ta mère.
    • Merci...
    • Je peux te comprendre. J'ai perdu un grand-père il y a quelques mois, j'y étais fortement attachée, et sa perte a été très difficile. Il n'y avait pas grand monde pour me soutenir, j'ai pris beaucoup de temps avant d'en faire le deuil. En tous cas, si t'as besoin d'aide, je suis là.
    • Merci... »
C'est à son tour de m'enlacer. Sa présence apaisante me fait à nouveau tout oublier. Je parviens à me retenir de pleurer, mais je profite de cet instant de douceur pour ne plus penser à rien.
Trois minutes plus tard, nous commençons à parler de nos défunts proches respectifs, confions ce que nous avons sur le cœur. Je rends hommage à ma mère.
« Malgré la tristesse omniprésente, elle a toujours trouvé la force pour m'élever. Je mangeais peut-être des pommes de terre quasiment tous les jours, car on ne pouvait se payer beaucoup de choses, mais je l'aidais à les éplucher, pour montrer ma gratitude. J'étais là pour elle, elle était là pour moi, pour me réconforter et pour me rassurer, face aux malheurs de tous les jours.
    • Je ne te savais pas si malheureux... Je ne te voyais jamais sourire, je pensais qu'en fait tu boudais, mais en fait...
    • ...c'est parce que je ne vis pas dans la joie, et que personne n'est là pour me soutenir. Je suis aussi vachement timide, ça n'aide pas forcément à aller vers les autres... Dernièrement, ça allait mieux, avant que ma mère... »
Je m'interromps. Blanche me laisse à mon silence, avant de reprendre.
    • Y'a un gars, qui vient de la scène musicale pop de Reims, qui a composé une chanson simple, mais efficace, qui dit ''Tu devrais parler quand la vie est trop dure.''.
    • Beaucoup ont écrit ce type de chanson, non ?
    • Oui, mais la sienne a une mélodie sympa, c'est pas la pop qu'on entend à la radio, c'est plus... élaboré.
    • J'écoute pas de musique. Les factures d'électricité et tout ça... Je parle encore de mes soucis d'argent, c'est ennuyant à la base, et j'y retourne sans cesse... je t'en fais abstraction.
Difficile d'entretenir une conversation entre jeunes aujourd'hui, quand on n'a même pas d'accès Internet.
    • Si tu veux, j'ai des places pour le concert du même artiste. Il passe dans trois semaines pas loin d'ici. Je t'invite.
    • C'est gentil, mais t'en fais pas pour moi, voyons...
    • J'insiste. Tu verras... Enfin, t'écouteras plutôt. C'est franchement chouette comme musique.
    • Bon, je veux bien venir, alors.
    • Merci, Igor ! »
Elle pose ses lèvres sur ma joue. En l'espace d'une seconde, toute ma vie défile devant mes yeux. Seule une affiche d'appel à témoins pour Wolfgang me tire de mon bref rêve, décrochée d'un mur par le vent, faisant l'effet d'une bombe à eau, trempée par une pluie torrentielle. Je me vois contraint de sortir une serviette de mon sac pour m'éponger. Nous rentrons rapidement au lycée, puis l'après-midi se termine par le dernier contrôle de la semaine.

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