Inquiet, je sors de ma chambre. Ma mère me tombe dans les bras, essoufflée, incapable de prononcer un mot car semblant sous le choc. Mon père semble également affolé.
« Igor ! Mais où étais-tu passé ?
Euh... hein ?
Voilà une demi-heure au moins que nous te cherchons partout ! Nous avions cru que tu avais été enlevé par un voisin !
Pourquoi un voisin ?
Tu sais comment ils sont avec nous. Ta disparition nous a rappelé ce qu'il s'est passé voilà quatre ans... »
Ce qu'il s'est passé voilà quatre ans est en tête de la liste des événements que j'aurais préféré ne jamais subir.
J'avais cinq ans quand mon petit frère Victor est né dans l'indifférence. Mon père m'a raconté que ma naissance s'est faite dans les mêmes conditions que ce à quoi j'ai assisté pour celle de mon frère.
Je me souviens du jour de l'accouchement de Victor. Ma mère, épuisée par les trente kilomètres de marche entre notre domicile et la maternité, ne pouvait plus marcher et devait mettre au monde dans l'urgence. Je me souviens de la scène entre mon père, furieux, et la réceptionniste.
« Comment ça, aucune chambre n'est disponible ?
Je suis désolée monsieur, mais votre femme devra attendre.
Mais elle va accoucher d'un instant à l'autre ! Vous ne pouvez pas la laisser comme ça !
Vous m'en voyez franchement navrée, je ne peux rien faire.
La salle d'attente est vide ! Ne me dites pas qu'aucune salle ne peut accueillir ma femme !
S'il vous plaît, monsieur, prenez place dans cette salle d'attente, et attendez votre tour.
C'est ça... J'ai déjà fait la sage-femme cinq ans plus tôt. Donnez-moi trois serviettes et je reprendrai la casquette dans votre foutue salle d'attente !
Les agents de service viennent de nettoyer le sol, vous ne pouvez pas mettre au monde votre enfant là-bas !
Il y a cinq ans, vous nous aviez jeté dehors comme des chiens ! Mon premier fils est né à côté d'une bouche d'égout sous la pluie ! Vous ne pouvez pas nous laisser refaire ça !
Légitimement, vous êtes sur la voie publique, en-dehors de notre domaine de réglementation, je ne peux donc vous empêcher de le refaire, vous avez raison ! »
Suite à quoi mon père se jeta sur la réceptionniste. Les agents de sécurité l'arrêtèrent, et il passa une journée en garde à vue.
Ma mère et moi sortirent de la maternité. Je vis passer un groupe de personnes en protégeant une autre. Une des personnes dit ''Laissez passer la ministre de l'Agriculture ! Elle a perdu les eaux !''. Une armée d'hommes en blanc les attendait à l'entrée, l'un répondant ''Entrez vite ! Toutes nos chambres sont libres, vous y accoucherez dans le calme.''. Ma mère, hurlant de douleur, assise sur le trottoir sous la pluie, appela à l'aide auprès des passants ne daignant ni baisser le regard, ni venir en aide à la pauvre femme. Rassemblant ses souvenirs, elle me confia alors les instructions pour l'aider à accoucher comme elle l'avait fait pour moi. Victor est né après trois heures d'interminables efforts, sans aucune autre assistance que la mienne. Nos deux naissances furent quasiment miraculeuses.
Ce qu'il s'est passé voilà quatre ans s'inscrit dans la continuité de la naissance de mon frère. Déjà appelés ''les frères trottoir'' par le voisinage ayant eu vent de notre lieu de naissance, nous sommes restés les têtes de turcs du quartier, à l'époque encore fréquenté. Aujourd'hui, tous ont déserté la zone, devenue délabrée, nous sommes les seuls à y loger encore.
Un sale gamin, pourtant aussi pauvre que nous, ne trouvait d'autre occupation que de lancer des œufs pourris contre notre maison. Ce jour-là, mon frère avait sept ans, moi douze, lui quatorze. Mes parents s'étaient absentés brièvement ce jour-là, je devais garder Victor. Nous jouions à l'extérieur, quand il nous a abordés.
« Hé, trottoir deux, tu sais que t'es mignon ?
Victor restait bouche bée, n'osait dire mot. Déjà peu causant à l'époque, je devais intervenir, bafouillant.
S'il te plaît, pars.
Ta gueule, trottoir un, c'est à l'autre que j'cause !
Sur ces mots, il me donna un coup de boule m'envoyant valser au sol, m’assommant. Avant de m'évanouir, je voyais mon frère, tétanisé, agrippé par le bras.
Allez, viens, je vais te présenter un truc chouette... »
Quand je me suis réveillé, j'étais dans mon lit. Mes parents m'y avaient transporté. Ma mère pleurait à chaudes larmes. Mon père me demanda où était passé Victor, je lui ai conté ce qu'il s'était passé.
Nous l'avons retrouvé le lendemain, dans le canal asséché, le visage en sang, le pantalon baissé, laissant des traces de sperme en évidence...
Mort.
Ma disparition laissait envisager le pire pour mes parents. Ils ne voulaient pas revivre ça, ils n'ont pas besoin de ça en plus. Malgré la plainte déposée, nous n'avions pu mener l'enquête à terme, faute de moyens financiers suffisants. Tout le voisinage avait été choqué de l'accusation du gamin et l'avait soutenu pendant les faits. Aujourd'hui, il est dealer à la sortie des collèges, et un ami de Wolfgang Ulrich est l'un de ses plus fidèles clients.
L'inquiétude de mes parents est justifiée. Perdu dans mes pensées, me remémorant cette histoire, mon père doit hausser la voix pour reprendre la conversation.
« Igor ! Dis-moi où tu étais !
Euh... mais pourquoi êtes-vous entrés dans ma chambre, d'abord ?
On a entendu des coups violents contre la maison, suffisamment bruyants pour tous nous réveiller. Nous voulions te demander si tu avais vu quelque chose.
Pendant mon sommeil ?
Les murs sont fragiles, ici. Il se pourrait que l'un de ces pilleurs soit entrés de force dans la maison, en frappant le mur de ta chambre de coups de marteau.
Non, mais ça, euh... C'est moi en fait, je... vous prépare une surprise.
Tu te lèves en plein milieu de la nuit pour frapper les murs de la maison pour nous réveiller en sursaut ? Merci pour la surprise, on s'en serait passé !
Non, mais c'est, euh... un truc qui s'est emballé. Mais vous en faites pas, tout est sous contrôle, et encore désolé du dérangement, je serai plus discret la prochaine fois. Ne vous inquiétez pas non plus si vous ne me voyez plus.
Et quand est-ce qu'on aura vent de cette... surprise ?
Euh... je ne sais pas encore...
Bon, je te fais confiance, tu ne nous mens pas d'habitude. »
Et pourtant, je venais de le faire. J'ai profité d'une situation étrange pour masquer ma double-identité. J'ai menti à mes parents pour respecter une clause de confidentialité.
Avant de me rendormir, je consulte le livret, mais rien n'est mentionné au sujet d'un viol permis de cette cause pour rassurer l'entourage familial. Bref, je verrai ça demain avec Sarantu. Je ne sais pas si je pourrai mentir longtemps à mes parents...
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