Ça devait
être trop beau, une société humaine parallèle dans l'espace qui
donnait sa chance aux marginalisés, mais pourquoi un truc pareil ?
C'était tellement grotesque. Je suis peut-être plus que soulagé de
savoir que mes parents ne sont pas morts, mais je réalise
soudainement que ce changement de vie plus que brutal ayant eu lieu
voilà quelques semaines n'était que le fruit de mon inconscient, un
rêve, un putain de rêve.
Je suis
catastrophé. J'ouvre la porte de ma chambre, et je retrouve mes
parents.
« …
salut.
Ils ont
l'air stupéfaits. Ils me rendent mon salut, puis mon père prend la
parole.
- Mal dormi ?
- Euh... on peut dire ça, ouais.
- Heureusement qu'on est Samedi, tu peux te reposer, au moins. Mais pourquoi tu t'es levé si tôt ?
Je remarque qu'il est six heures du matin.
- Ah, oui, tiens. Bon, je vais me recoucher. Bonne journée.
- Merci... de même. »
Le week-end passe, comme si rien ne s'était jamais
produit. D'ailleurs, rien ne s'est jamais produit, les Mikava n'ont
jamais existé, mes parents ne sont pas morts, je ne me suis pas
installé chez Marc, …
Le choc est encore plus brutal le Lundi. Je retrouve
cette trop longue attente devant les portes du lycée, sous la pluie,
sans rien. La journée de cours est atroce. Au début de la journée,
je vois Marc au loin en classe. Je tente de lui parler au moment de
la pause. Après tout, je peux quand même utiliser ce que j'ai
appris sur Anuva, même en rêve, non ?
« Salut, ça va ?
- … pourquoi tu me parles ?
- … je sais pas, on pourrait ptet sympathiser...
- Dégage, j'ai pas envie d'être ton pédé, connard ! »
… non, je ne peux pas l'utiliser.
Puis Wolfgang Ulrich, mâchant quelque chose,
m'interpelle.
« Hey, salut connard ! Tu m'as manqué ce week-end,
faut fêter ça ! »
Puis il crache sur mes cheveux. Je me rends compte qu'un
chewing-gum accompagnait son crachat. Muni de gants, il frotte mes
cheveux, permettant à ce truc de recouvrir toute ma masse
capillaire.
Je retourne en cours, plus léger de la moitié de mes
cheveux, coupés en vitesse aux toilettes pour enlever un maximum de
cette saleté. Ma coupe est atroce, je n'échapperai pas à la boule
à zéro pour limiter les dégâts esthétiques.
« Hey, tendance ta coupe, connard ! Faut croire que
j'ai de l'avenir dans la coiffure ! HA HA HA ! »
Rire général dans la classe. Certains restent en
retrait, mais la majorité s'esclaffe devant mon nouveau style.
À midi, mangeant mon sandwich sous la pluie, les dégâts
sont encore plus visibles, mes cheveux mouillés. Des zones chauves,
irrégulières, apparaissent sur mon crâne. Wolfgang Ulrich, Blanche
au bras, repasse devant moi, et rit à nouveau, et elle aussi. Je la
regarde d'un air dépité, repensant à tout ce que j'avais accompli
dans une autre vie. Elle réagit.
« Pourquoi tu me mates, minable ? Baisse les yeux !
- Oh, tu vas te calmer, connard. Tu mates pas ma meuf !
- Mais je...
Pas moyen de lui répondre, il arrache mon sandwich de
mes mains, à peine entamé, et le jette dans une flaque.
- Va bouffer comme les chiens, crevard ! T'es tellement pauvre que tu pourras pas t'en payer un autre, ce midi !
Il n'a que trop raison, je m'en vais le ramasser, mais
un sans-abri l'intercepte.
- Laisse-m'en, mon gars, s'il-te-plaît !
- Sarantu ?
- Nan, moi, c'est Thierry, et je suis pas un extraterrestre, si c'est c'que tu sous-entends par ton nom bizarre. Allez, fous-moi la paix ! Plutôt que de te foutre de moi, pense à ce que tu ferais à ma place ! »
Choqué, il n'y a pas d'autre mot pour exprimer ce que
je ressens. Alors que je m'éloigne sans dire un mot, je jette un œil
sur la presse gratuite. Le gars qui voulait envoyer les vieux dans un
centre de finissage a remporté les élections. L'analyse dit entre
autres que ''Par un programme prônant la haine et l'égoïsme, il a
su toucher les masses.'' .
L'après-midi n'est pas plus joyeux. M'étant finalement
rasé le crâne avant de retourner en cours, je fais très mauvaise
impression. Déjà affreusement laid à la base, je viens d'atteindre
une apogée. Cela donne une nouvelle idée à WU le soir,
définitivement très en forme aujourd'hui, recouvrant mon crâne de
super-colle et de plumes de pigeon.
À la fin de la journée, je retrouve mon père.
« Tiens, tu t'es fait une nouvelle coup... oh non. T'as
quand même p... oh merde. »
Je compare cette journée aux autres. Assez extrême, je
me souviens pourtant avoir connu bien pire.
Je me lave sous la pluie, les plumes finissent par
partir au bout de plusieurs heures, on ne sait pas trop comment. Mon
père sacrifie un peu de ses cheveux, puis me conçoit une perruque,
assez cheap, mais plutôt bien réalisée. Cela ne suffit pourtant
pas à me redonner le moral.
Ce n'était peut-être qu'un rêve, mais il m'a assez
éclairé sur l'état de l'Homme et sur ma situation aujourd'hui.
Le soir, je termine ma dernière lecture de l’œuvre
de Baudelaire, puis je récupère ma corde. Le masochisme, c'est
terminé.
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